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Un vivre-ensemble renouvelé – covida 20(20)

02/07/2020Raphaël Magin

Un vivre-ensemble renouvelé – covida 20(20)

Cette invitation à réfléchir à de nouveaux espaces de vivre ensemble, à esquisser unnouvelenvironnement construit et non construit,
a finalement, après quelques premiers détours conceptuels, fait résonner en moi comme une gêne diffuse, une sorte d’incompréhension.

Ces projets exemplaires et inspirants, humains, solidaires, créatifs, innovants, ceux qu’on aimerait voir se développer davantage, n’existent-ils déjà ?

Ne disposons-nous pas déjà d’une bibliothèque de références magnifiques, de projets solidaires, généreux et résilients, d’espaces publics fédérateurs permettant le partage et la communion voire la distanciation sociale, quand celle-ci est de rigueur, de projets d’occupations temporaires dont le souci premier est de s’adresser aux publics fragilisés des quartiers dans lesquels ils s’implantent ?

Viennent à l’esprit, instinctivement, quelques exemples immédiats, tels la coopérative de logements Kalkbreite à Zürich, modèle urbain contemporain de vie en communauté, ou encore le Test Site Rotterdam, de ZUS, une dynamique d’occupations transitoires et de redéveloppement inspirante, bousculant les habitudes à l’œuvre. Plus près de chez nous, des initiatives d’occupations temporaires bottom-up, par des asbl comme Wolke, Toestand ou Communa, ou encore des projets d’habitats groupés portés par leurs futurs habitants. Enfin, ces projets immobiliers solidaires, possibles dès qu’un minimum de volonté est présent : dernièrement, à Anderlecht, une asbl à caractère social sollicitait un permis d’urbanisme en vue de développer un ensemble mixte aux valeurs solidaires porteuses d’espoir : 52 logements pour personnes précarisées, une banque alimentaire, une maison médicale (occupée par Médecins du Monde), une crèche, un restaurant social, un commerce d’économie sociale, des espaces polyvalents pour asbl, etc.

Ces formes de vivre ensemble renouvelées existent. Mais, à l’évidence, nos sociétés souffrent toujours cruellement, malgré les mises en garde expertes ou les mobilisations citoyennes, d’un manque de volontarisme criant, expliquant largement que ces initiatives porteuses de sens ne puissent être reproduites à plus large échelle.

Cette période d’angoisse relative a (re)mis à jour des besoins, urgents, au niveau du logement (manque de logements, manque de logements sociaux, d’urgence, manque d’espaces extérieurs – balcons, terrasses, etc.), des équipements d’intérêt général (manque de programmes sociaux solidaires, d’espaces d’accueil et prise en charge des publics fragilisés, etc.), au niveau des espaces publics, la distanciation sociale requise nous imposant d’adapter ceux-ci rapidement, d’offrir des espaces de circulation amples et moins anxiogènes pour les publics à risques, de recréer des espaces de respiration de proximité, presque rue par rue.

Mais cette crise a aussi mis en exergue le fait que des solutions existent, que notre capacité d’action, notre capacité à nous réinventer, collectivement, est intacte.Tirons parti de cette période délicate, transformons-la en un prétexte à l’action, en un prétexte à la mise en place d’actions sociétales prioritaires.

  1. Logement : dégageons les budgets publics permettant la prise en occupation de bureaux vides en vue de la création de logements d’urgence, de logements transitoires, de l’installation d’espaces d’accueil (aides sociales, médicales, etc.) ; insérons dès à présent dans les différents codes du logement l’obligation, dans toute nouvelle construction ou rénovation, d’offrir à chaque logement soit un espace extérieur privatif d’une superficie minimale (4 m² min. par ex.) soit des espaces extérieurs communs (en rez-de-chaussée ou en toiture).
  2. Espaces d’accueil des publics fragilisés / programmes solidaires : intégrons systématiquement, dans les projets urbains publics, une programmation d’équipements d’intérêt général attentive aux publics fragilisés (banque alimentaire, maison médicale sociale, restaurant ou commerce d’économie sociale, espaces polyvalents à destination d’asbl de quartiers, etc.) ;
  3. Adaptation des espaces publics à court terme :
    1. échelle micro: poursuivons la dynamique à l’œuvre au niveau des places de stationnement, mais ne la cantonnons pas au seul bénéfice du secteur horeca : permettons également aux citoyens de se réapproprier des places de stationnement en vue de l’aménagement d’espaces de respiration de proximité ; organisons des appels à projets citoyens, démultiplions notre capacité d’action collective ; profitons de chaque projet public de réaménagement de voirie, de chaque campagne de réasphaltage pour transformer 1-2 places de parking en autant d’espaces de mobilité partagée ou d’espaces plantés de proximité, en pleine-terre, installons-y un/des bancs, reperméabilisons les sols.
    2. échelle macro : osons réinventer la ville, dès demain, par des réaménagements transitoires d’espaces publics à haute valeur symbolique (en Région bruxelloise, par ex., à quand la libération du parc Royal - au moins dans ses parties Sud et Ouest, de la place des Palais, de la place Royale, du trafic automobile de transit ?) ; osons supprimer le trafic de transit de certaines voiries stratégiques, créons de véritables corridors de mobilité réservés aux modes de transport durables (TP, vélos), aux professionnels devant se déplacer facilement en cœur de ville (véhicules d’urgence, livraisons, utilitaires, taxis), aux riverains ;

Et parce que ces enjeux d’un vivre-ensemble renouvelé ne serviront pas à grand-chose si nous ne parvenons pas également à embrasser les enjeux environnementaux actuels, profitons également de cet élan d’actions potentiel pour nous attaquer de front aux questions de soutenabilité, de résilience, de réduction de notre empreinte écologique/énergétique globale.

  1. Territoire : mettons fin dès aujourd’hui (et non pas en 2050) à la possibilité de construire sur des espaces non-encore urbanisés, quand bien même les plans règlementaires les affecteraient en espaces constructibles ; incluons dans l’analyse des demandes de permis un critère de pertinence territoriale, évalué à l’aune des objectifs stratégiques exprimés dans les codes d’aménagement du territoire et les plans stratégiques (utilisation parcimonieuse du territoire).
  2. Fabrique urbaine : mettons en place les outils incitatifs nécessaires à la réduction de l’empreinte carbone des nouvelles constructions, responsabilisons les architectes et les développeurs au niveau du choix de matériaux à faible énergie grise ; instituons comme contrainte de projet le respect des espaces arborés de pleine-terre ; mettons à mal les règles de stationnement imposant des minima par logement ; multiplions de vrais points de mobilité partagée au sein des quartiers (incluant vélos partagés et vélos-cargos), osons la ville décarbonnée, où la voiture n’est plus utilisée par habitude mais uniquement par nécessité ;

Agissons ensemble, maintenant, nu, now.

Raphaël Magin / Citoyen, urbaniste, juriste.