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« Penser le passé pour panser le futur »

Musée L – Musée universitaire de Louvain

Pour penser autant que panser la crise qui a frappé de plein fouet les acteurs culturels et artistiques, le Musée L propose une sélection d’œuvres d’artistes belges tirées de ses collections, qui offrent une nouvelle lecture réflexive, poétique, sinon prémonitoire du contexte critique que nous vivons.

C’est le cas de l’Hommage à Piranèse de Thierry Lenoir, qui amorce une réflexion sur l’espace de réclusion (fig. 1). Si cette estampe s’inspire des sombres Prisons imaginaires de l’architecte et graveur italien, l’œuvre trouve à nos yeux une résonnance toute particulière à la lumière de la crise que nous traversons. De la même manière que la série de gravures de Piranèse illustrait paradoxalement une face obscure du siècle des Lumières au milieu duquel elle fut publiée, le travail engagé de Lenoir nous éclaire sur les travers de notre société. Tandis que les vastes architectures labyrinthiques reproduites dans les eaux fortes de Piranèse ne semblent limitées que par la plaque de cuivre, l’espace carcéral revisité par la xylographie de Lenoir clôture plus nettement la prison qui emmure ses résidents. Outre les violents contrastes entre le blanc et le noir, le travail de la gouge, volontairement laissé visible par l’artiste, lui permet de suggérer des flammes dansant au sous-sol, tel le reflet de l’enfer-mement. Cette mystérieuse prison est peuplée de détenus qui traînent leur boulet de forçat et de gardiens interpellant le regard du spectateur. Celui-ci pourra en outre y voir l’écho de la privation de ses libertés et des répressions policières qui ont sévi durant le confinement.

Contraints à fermer leurs portes, les musées ont quant à eux été poussés à se réinventer. Pour maintenir un lien, aussi virtuel soit-il, avec le public, le Musée L s’est invité à la maison, proposant visites thématiques, coups de cœur et autres ateliers créatifs à domicile. C’est ce que nous évoque notamment le travail de Jean-Pierre Benon qui, par des lignes, des tracés, des griffonnages, s’intéresse au pouvoir de suggestion implicite du crayon (fig. 2). L’artiste organise, simplifie et prolonge la production des maquettes à découper, diffusée largement par l’imagerie d’Épinal (XVIIIe siècle, fig. 3) et rendue célèbre par les jeux de découpage et de pliage du Bauhaus (XXe siècle). Maison à assembler interroge la limite clairement repérable de l’intérieur et de l’extérieur de l’espace domestique. L’œuvre fait étrangement écho à l’expérience du confinement. Elle renvoie d’une part aux effets néfastes et destructeurs de la solitude et de l’isolement sensoriel imposés et subis. Elle permet de questionner d’autre part les effets bénéfiques d’un isolement provoqué pour enclencher le processus de création chez certains artistes.

C’est précisément le rapport des artistes à l’espace public que convoque l’œuvre de Micheline Boyadjian (fig. 4). Des espaces intimes de son quotidien jusqu’aux bâtis extérieurs qui l’environnent, ses peintures expriment une certaine tension entre une apparente absence et la présence quasi palpable dont les lieux semblent pourtant animés. Ici, un angle de la Place Royale au cœur de Bruxelles, anormalement vidée de sa circulation. Au sommet du Mont des Arts, cet ensemble néo-classique, érigé sur les cendres du palais du Coudenberg et de ses richesses artistiques, rassemble aujourd’hui plusieurs institutions culturelles et touristiques. En bordure du cadre, au croisement des lignes de tram qui traversent la capitale, un ou une peintre présente au regard du spectateur le corps d’une femme nue, dévoilée sur la toile. Souvent identifiée comme « peintre naïve », Micheline Boyadjian est-elle cet « artiste téméraire » qui s’expose dans la rue, à deux pas d’une institution abritant certaines des œuvres les plus renommées du pays ? Dans la situation actuelle, les personnages déambulant seuls sur cette place déserte, violon et cartons à dessin sous le bras, ne manquent pas d’évoquer le sentiment d’abandon des artistes privés de leur public. Condamnés à « trouver une autre manière de s’exprimer », la témérité leur sera essentielle pour continuer à travailler. Figurant parmi les premiers lieux de déconfinement en Belgique, le musée doit aussi faire preuve d’une « audace imprudente » pour offrir aux artistes et aux publics de nouveaux espaces d’expression et de (sur)vie. Lieu d’échange et de transmission par excellence, le musée reste cette porte ouverte sur la création, comprise comme espace de décloisonnement intérieur.

Lise Constant, Emmanuelle Druart et Roxanne Loos

Musée L – Musée universitaire de Louvain
https://museel.be/