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Existe-t-il encore un espace public démocratique?

02/07/2020Olivier Bastin

Existe-t-il encore un espace public démocratique?

Plaidoyer pour une poétique de l’espace, contre les systèmes

IN and OUT. Ainsi pourrait-on résumer cette étrange période de confinement. Toutes nos relations, nos comportements, nos respirations, se sont résumées pour un temps, à filtrer ces rapports qui font de l’homme un être social, la plupart d’entre nous échappant à l’asphyxie, beaucoup, malheureux, y succombant, qu’elle soit due à la maladie, ou à la violence policière.

L’émotion exacerbée par une telle réduction de notre espace vital, et les séquelles d’une représentation exacerbée de la mort, d’autant plus présente que nos proches défunts nous étaient retirés, a déclenché des cascades d’attitudes maniaco-dépressives, portant la méfiance de l’autre au-dessus de l’envie d’aller vers lui ou elle. Chacun.e. se réfugiant dans la forteresse de son cocooning, home-working et autre home-cinéma, home-piscine, home je ne sais quoi, les réseaux internet et surtout réseaux sociaux, prirent progressivement un pouvoir inégalé, que les quelques médias encore capable d’une distance critique ne parviennent plus à contrecarrer.

On assista à des lynchages publics sur la toile, bien plus violents que les maladroites interventions policières dans les lieux où, excédés par tant d’enfermement, les quelques rares individus encore inconscients des gestes simples contre le danger, se sont engouffrés pour se rassurer qu’une humanité de plus en plus grégaire, celle que l’on voyait défiler à chaque congé dans les aéroports, existait encore bel et bien. Image rassurante du groupe, qui ne peut être sans rappeler ces milliers de gnous traversant la rivière où les attendent les crocodiles en embuscade.

Loin de se résumer à quelques spores diffusées inconsciemment dans l’atmosphère, c’est par les systèmes que le danger s’est progressivement glissé dans nos vies. Systèmes de ventilation, bien sûr. Comment expliquer autrement les pertes importantes au sein de lieux de culte, boîtes de nuit ou résidences du troisième âge ? Systèmes de conception, surtout. Transformées en bouteilles thermos, nos constructions se plient aux dictats des tableurs de nos administrations, alimentés par le lobby des entreprises, sans qu’aucun de ces influenceurs n’endosse la responsabilité civile qu’en tant qu’architecte nous sommes portés à assumer. Système de composition aussi. L’encodage des données devient prédominant dans l’assemblage des espaces que nous générons et des matériaux qui les composent. J’ai du mal à comprendre l’excitation de certains à l’idée d’une construction par une imprimante 3D.

Mais tout cela n’est-il pas de notre faute, à nous les architectes ? Avons-nous tellement trop peu à dire encore au sein des équipes d’ingénieurs, projet-manageurs, et autres promoteurs qui envahissent nos métiers ? N’avons-nous tout simplement plus rien à dire dans l’espace public, autant que privé ? Quelle place laissons-nous encore à la poésie de l’espace, de la composition, du jeu des matières ?

Face à la diffusion des responsabilités par les systèmes, je plaide pour une recentralisation de notre métier, de nos êtres et de nos corps, pour qu’en tant qu’être humain, nous puissions encore assumer notre responsabilité d’être au monde.

Olivier Bastin

Co-fondateur de L’escaut architectures scrl

1er bouwmeester-maître architecte de la Région de Bruxelles Capitale

Président de la Fédération des Architectes de Belgique

Membre de l’Académie des Arts et des Lettres