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Enterrer la Terre. Extraits

02/07/2020nous.

Le manifeste pré-actif « Enterrer la terre » présenté dans Codex Mundi révèle les espoirs fondés sur notre temps : celui d’un renouveau du monde. Nous, qui sommes pris par le temps. L’histoire nous a établi comme repère : entre la nécessité de clore le second millénaire et d’ouvrir le troisième.

À travers le passage d’un monde fini à la fin du monde, cette époque se présente comme une époque prophète. Cette révolution programmée montre la puissance de l’image, des conceptions et des perceptions à renouveler. Si jusqu’ici tout semblait aller bien, « le plus important c’est la chute » (Kassovitch, 2002).

L’image du monde offerte par le retournement d’un satellite capturant la terre entière en 1966 parachevait son processus de circonscription. La modernité et le progrès semblaient avoir assuré leur avenir par le climax d’un contrôle total, sur l’objet comme sur les sujets.

Relisant l’ouverture du XXIè siècle, des événements comme le bogue de l’an 2000, les attentats de 2001, le confinement de 2020 sont exposés comme les possibilités de la liberté et la fin d’un monde-image. L’attente d’un renversement s’est mis à concorder avec sa nécessité.

Le texte installe les possibilités cognitives d’un tel renversement en célébrant et analysant ceux qui se sont battus pour cette fin et présente une nouvelle génération pour une révolution de la perception, poursuivant ses legs, détachée des causes, des formes, des temps et des lieux, définissant une méta-perception et un positionnement.

Le peuple manquant, (Deleuze, 1985) est peut-être l’expression par laquelle peut être désigné le peuple du III ème millénaire. Le passage à ce nouveau temps dans le calendrier occidental a été le marqueur de rêves, le but de progrès. Il a incarné craintes et espoirs : l’attente de la réalisation d’un monde nouveau. Malgré la force symbolique de ce moment, le constat est simple et révélateur : très peu de choses ont changé. Après s’être référé à ce moment comme perspective, que peut-il advenir ?

Vingt ans après le passage de l’an 2000, les premières générations de ce temps nouveau peinent pour le moins à proposer une vision du monde qui guiderait leur action. Ce silence (Carlson, 1962) laisse interroger leur liberté.

Comment se fait-il que nous soyons si démunis pour proposer une vision du monde ? Pourquoi les tentatives d’expression de notre espace se heurtent en permanence au déni ? Existent-elles même ? Pourquoi la jeunesse semble ne plus avoir les possibilités d’un regard neuf ?

Le manque de référents, de vocabulaire, de moyens d’expression illustre la difficulté à partager ces mondes possibles. La première génération d’un millénaire nouveau semble subordonnée à un futur écrit pour elle.

[...]

Il fallait faire deux choses pour revenir à la terre : se donner les conditions d’écrire histoire et futur.

Il était difficile d’exprimer que la nécessité était celle d’une nouvelle perception du monde. Non du fait de l’écart, normalement trop grand de conceptions (Heidegger, 1949)du monde entre générations, mais parque ce que la vision des générations précédentes est basée sur le déni. Elles se refusent à leur propre perception. Cette attitude est menée par l’invariabilité : la constance. Cette valeur a été promue par le capitalisme global et érigée en valeur centrale de ses sociétés. Emploi stable, stabilité économique, assurance vie, effacement des disparités sociales, géographiques, entre individus... : un égalitarisme hégémonique à l’échelle du globe circonscrit. Cette valeur est un filtre sur la réalité assez puissant pour ignorer toutes les conséquences contraires à ce mirage. La caractéristique principale de ce regard sur le monde était son arrêt.

Le monde était devenu une image.

Cette fixation devenait paradoxalement la condition pour poursuivre indéfiniment le monde qu’elle représentait. La possibilité de sa persistance venait de la double conception fortement ancrée dans l’histoire occidentale : infini-Progrès.

Le temps ne compte plus.

Cette continuité a fait qu’il n’y avait plus aucune nécessité ni de faire histoire ni de penser le futur, c’est à dire de prospecter des visions du monde alternatives. Plus besoin de boussole : si tout était sous contrôle. Nous avions oublié de nous repositionner en permanence ; un tel arrêt dans la prospection entrainait une poursuite acharnée et aveugle du monde.

Seulement rien n’était vraiment sous contrôle. L’image grésillait de plus en plus vite, alors que grippait de plus en plus fort la machine, qui à sec, démontrait que le monde était limité, l’espace mobile. Et nous subissions ces aléas comme une fatalité : s’offrant à nous la fin du monde comme horizon.

Accepter la fin.

La question de la fin est ouverte. Elle est morale. L’action repose sur la vision du monde.

[...]

Quoi qu’elle représente, la fin est devenue le marqueur de la société occidentale du IIIè millénaire. Depuis les fondations de son histoire est prise en compte la notion de fin. Elle est sujet d’étude, de prospection, d’imagination voire de justification morale.Guidant l’action occidentale sur le monde. La fin c’est ici celle du monde dans sa polysémie.

Dans cette conception, la fin est symétrique du début : notions qui entretiennent des rapports ténus à la nature et par cela avec le monde comme altérité capable de création et de destruction.

L’arrivée d’une fin totale a cependant toujours été, à défaut d’être pensée, incertaine. Nous ramenant avec force vers la fin de l’homme qui ne cesse, elle, de se répéter. Ainsi se sont succédées les visions qui ont guidé le futur du monde que l’homme habite. Cette science-fiction a été opérante pour se projeter en revenant à des conceptions antérieures de la fin. Comme autant de mémos, nous rappelant à notre propre fin : memento mori.

La notion de fin a recouvert des arrêts symboliques (états, civilisations, esprits...) se référant au monde comme vision. Cette acceptation fonctionnait dans la dichotomie nature-culture. Le remplacement de ces visions, ces fins du monde se sont fait à renfort d’utopies (de laquelle ils sont au fondement) : le lieu qui n’est pas mais qui se voit pour produire un changement de regard.

Nous sommes désormais confrontés à la connaissance de la possibilité d’une fin du monde comme état. Si le monde physique continuera sa transformation sans nous, nous nous trouvons face à la vision de la fin définitive de notre monde : en tant que lieu et regard. The Blue Marble.

Le monde finira de toute façon, il explosera sous la chaleur du soleil. Alors pourquoi s’inquiéter de sa disparition aujourd’hui ou demain, si quoi que nous fassions, sa fin est certaine ?

Ce qui est inquiétant c’est le refus de cette condition, et l’émergence de visions qui l’intègrent à un moment qui en est certain. Dès lors, nous tenons début et fin ensemble pour le IIIè M.

Cette réunion à l’image de l’éclatement, suite à la révolution copernicienne, de la division entre globe céleste et globe terrestre, est le dernier pas vers une unicité (nature_culture/début_fin/terrestre_céleste) : celle d’un monde fini.

Cette conception reflète le climax de la conquête du monde. L’éloignement temporel vis-à vis de ce qui était admis comme début, est allé de pair avec la conquête de la fin. Par les découvertes, était poursuivi l’agrandissement du monde dans sa conception ou sa réalité. Spatialement comme intellectuellement, on se mettait à la recherche de la fin du monde, ou plutôt de son infini. Jusqu’à prouver que le monde était rond, on pensait que le monde était infini.

L’homme avait circonscrit le monde. Il devait en être au centre. Il en avait fini avec la terre. Plus besoin d’invoquer les éléments : il avait le contrôle. Il avait acquis son autonomie sur sa terre, induisant une nouvelle responsabilité : la sienne propre.

Malgré cela, l’accroissement de l’infini est resté la marque principale des sociétés occidentales. Il y avait toujours la possibilité d’un lieu autre, de l’utopie à la conquête de l’espace.

Et comme elle avait été imaginé depuis longtemps, l’image du monde était considérée comme acquise. Pourtant, jusqu’à la fin du 2nd millénaire, il n’y avait aucune preuve de son image et aucune expression de son besoin jusqu’en 1966 où Stewart Brand demande à l’agence de conquête spatiale américaine de se retourner pour saisir l’image du monde depuis l’extérieur. Il demande à voir la terre entière.

Le monde est capturé. Le monde est définitivement fini et c’est son image.

C’est au plus grand de l’infini, lorsque le monde est totalement circonscrit, même dépassé par l’homme dans son espace, grâce au pétrole résultat de la maîtrise de sa modernité jusqu’au révolu carbonifère, permettant d’aller à la vitesse de la lumière, alors que l’homme tient ensemble ses plus grandes échelles spatiales et temporelles qu’il se rend compte que ses ressources sont finies. Que le monde peut s’épuiser, qu’il peut finir.

[...]

Nous nous trouvons être à la limite.

Précédant les générations absorbées par une image virtuelle du monde, résultat de la victoire du cyber sur [la] contre-culture, cette génération sait que telle victoire, telle acmé sur la fin n’est plus tenable pour longtemps. Elle se prépare. Elle voit nos capacités à nous approcher de l’infini, à dépasser la fin tomber les unes après les autres.

Nous ne savions pas bien expliquer, transmettre aux autres notre position. Nous manquions de beaucoup de choses. Les événements récents on réussi à abattre le plus grand obstacle que nous avions. Tout le monde accepte désormais l’existence d'un monde d’après ; quoi que cette expression représente, la porte est là, ce qui ouvre la voie à l’écoute.

Par la même occasion, ces événements soulignent notre dépendance refusée à la nature. On est hors contrôle, c’est officiel. Et cela repose la question de la liberté.

Nous prenons notre responsabilité et posons la question de la responsabilité et de l’action dans un monde fini.

[...]

Se placer sur ce plan autre, c’est quitter le monde. Suivre les pas d’un anachorète pour le prendre de biais, ouvrir la route et en faire le deuil.

Se placer à la limite, c’est retrouver un monde comme projet tout en se préparant à construire ce qui vaut la peine d’être détruit.

Embrasser cette responsabilité, c’est proposer une attitude intellectuelle radicale, une morale qui contemple et fête la fin.

Deleuze, Gilles. « Le peuple qui manque » L’image-temps. Éditions de minuit, Paris. 1985.

Carlson, Rachel. Silent spring. Houghton Mifflin, Boston. 1962

Heidegger, Martin. « L’Époque des conceptions du monde » Holzwege. Vittorio Klostermann, Francfort. 1949.

Telmo Escapil-Inchauspé pour nous.
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